Chostakovitch / Schnittke / Prokofiev : Sontes pour violoncelle et piano Disques Pelléas, Novembre 1998

critiques de l’album

Dyachkov : déja, un grand violoncelliste
     Yegor Dyachkov, jeune violoncel­liste montréalais de 26 ans d'ori­gine russe qui fut d'abord membre des Musici de son professeur Yuli Turovsky, signa son premier enre­gistrement en 1996 : le Concerto bal­lata de Glazounov, pour la maison britannique Chandos, à titre de gagnant du Concours d'Orford.
     Son premier disque de sonates vint en­suite: un couplage Richard Strauss‑Hans Pfitzner avec le pianiste Henri Brassard, pour la marque américaine Brioso. Un deuxième vient de paraître, avec cette fois le pianiste Jean Saulnier, sous l'étiquette québécoise Pelléas. Il groupe les trois plus importantes sonates russes du XXe siècle, soit celles de Chostakovitch (de 1934), Prokofiev (1949) a Schnittke (1978). (Dans ce dernier cas, pre­mière sonate car Schnittke en composa une deuxième en 1994.)
     Cette nouvelle prestation se maintient au niveau d'excellence des deux précédentes. Avant même d'avoir atteint la trentaine, Dyachkov s'impose comme un violoncelliste de première grandeur : l'archet naturel, la sonorité riche et profonde, la concentration to­tale, le sens de l'interprétation, tout est là.
     Dans la réussite absolue que constitue ce disque, il faut compter l'apport de Jean Saul­nier, chambriste agissant et nuancé, et l'équi­libre d'une prise de son où violoncelle et piano sont toujours , où jamais une voix ne disparaît au profit de l’autre. Observer, par exemple, à la fin du Schnittke, cette très lon­gue tenue du violonœlle pianissimo sur un do qui, pendant 22 mesures, reste audible à travers les accords du piano (de 7'46 à 9'24 sur l'indicateur, ou entre les chiffres 10 et 12 si on a la partition).
     Classiques du répertoire des violoncellis­tes, les sonates de Prokofiev et de Chostako­vitch conservent, par leurs thèmes chantants, un certain romantisme auquel Dyachkov s'abandonne, rejoignant Rostropovitch et son maître Turovsky, les dépassant même, par­fois, dans le mystère ou l'espièglerie. Moins fréquenté, le Schnittke est une création abso­lument démente, d'une difficulté indescripti­ble, presque épuisante à écouter même, et que Dyachkov et Saulnier traversent en véri­tables héros, sans nécessairement faire ou­blier l'incandescente version de Torleif The­déen et Roland Pöntinen réalisée chez BIS en 1986.
     Il existe un autre enregistrement groupant les trois mêmes sonates: celui de Xavier Phil­lips et Hüseyin Sermet, paru chez Harmonia Mundi en 1997. Je ne l'ai pas entendu. Mais je ne vois pas en quoi il pourrait être supé­rieur à celui de Dyachkov et Saulnier où tou­tes les indications de la partition sont respec­tées, où l'esprit de chaque oeuvre est parfaitement rendu. ★★★★★

Claude Gingras, La Presse, Montréal, 2000

Des sonates de Chostakovitch et Prokofiev, Rostropovitch (dédicataire de cette dernière) a laissé des gravures inoubliables de densité. On pourrait aussi citer, dans Prokofiev, la version Starker/Sebök (Vogue), puissante, libre, incontestable. On le voit, la barre est placée haut. Cependant, à cause de leur écriture d'apparence classique, claire et forte, ces deux œuvres tentent beaucoup de jeunes interprètes, la plupart du temps avec succès. Yegor Dyachkov est manifestement un violoncelliste de grande classe, cultivé et sensible. Il sait trouver, dans Chostakovitch, l'humour, la gravité, l'intensité lyrique, la candeur et la causticité qui caractérisent sa Sonate. Son instrument est par ailleurs magnifique de présence, de chaleur et de finesse. Ce travail permanent sur la sonorité est bien compris et secondé par Jean Saulnier, tour à tour brillant (voire tapageur) et merveilleusement ambigu (style parodique de l'Allegro final). Dommage que le piano soit un peu clinquant. Mêmes ingrédients pour la Sonate de Prokofiev : concentration, timbres étudiés, austérité. Dyachkov y est encore plus convaincant d'intériorité et de gravité. Le phrasé est noble, racé, sans ostentation, le coup d'archet trahit un caractère sûr et sincère. Le court Largo introductif [de la Sonate de Schnittke], presque uniquement confié au violoncelle solo, est une pièce redoutable, dont Dyachkov donne une lecture superbement torturée et grinçante. Le Presto central est une sorte de scherzo obsessionnel, un ostinato réduit à sa plus simple expression. Dans ce perpetuum mobile cinglant, on a l'impression que le pianiste ne donne pas toute sa mesure et reste assez sage, là où Dyachkov frise la démence, en virtuose. Mais il serait injuste d'exagérer ces maigres insuffisances : par leur souci de constante expressivité et leur sens du détail, Dyachkov et Saulnier signent ici un disque remarquable de clarté et d'intelligence.

Olivier Philipponnat, Paru.com, 2001

Un tel couplage, déjà proposé par Paul Marleyn et Sarah Morley (United, cf. No 68), permet d'utiles comparai­sons stylistiques entre trois créateurs dissemblables. Qui plus est, I'inter­prétation est excellente. Le jeu souple et délié de Dyachkov, son timbre chaud et homogène dans tous les registres, la finesse de ses aigus et la légèreté de son rebond rythmique s'accordent bien avec la pulsation toujours maî­trisée de Saulnier. Il est certes pos­sible de souhaiter plus d'exubérance sonore et de frénésie motorique dans l'Allegro final de la Sonate de Chostakovitch et peut‑être un peu plus d'acidité erratique et de mystère introspectif dans celle de Prokofiev, mais l'expressivité des deux com­plices est partout d'une sincérité to­talement convaincante. La Sonate de Schnittke, notamment, est une réus­site absolue, avec ses demi‑teintes douloureuses, ses cris étouffés, son tourbillon ostinato martelé au piano dans le Presto.

Jean-Marie Brohm, Répertoire, 2001

Opus 2000 Recording Awards / Prix du meilleur enregistrement de musique de chambre canadien
Dour, fierce and rigourous, yet with splashes of joy and no shortage of modernist irony, the sonatas for cello and piano by the Soviet composers Shostakovich, Schnittke and Prokofievmake an especially complementary package here. The 26-year-old Russian-born cellist Yegor Dyachkov is an eloquent spokesman for these pieces from the mother country, with playing that neatly balances passion and restraint. The recorded sound from this Québec label is excellent.

Elissa Poole, Opus Magazine, Toronto, 2000