- Dmitri Chostakovitch (1906-1975)
- Sonate pour violoncelle et piano en ré mineur, Op. 40
- 1 I. Allegro non troppo [12:09]
- 2 II. Allegro [3:11]
- 3 III. Largo [8:04]
- 4 IV. Allegro [4:21]
- Alfred Schnittke (1934-1998)
- Sonate pour violoncelle et piano (1978)
- 5 I. Largo [4:20]
- 6 II. Presto [6:09]
- 7 III. Largo [11:55]
- Sergueï Prokofiev (1891-1953)
- Sonate pour violoncelle et piano op. 119
- 8 I. Andante grave [11:53]
- 9 II. Moderato [5:14]
- 10 III. Allegro non troppo [8:23]
critiques de l’album
Dyachkov : déja, un grand violoncelliste
Yegor Dyachkov, jeune violoncelliste montréalais de 26 ans d'origine russe qui fut d'abord membre des Musici de son professeur Yuli Turovsky, signa son premier enregistrement en 1996 : le Concerto ballata de Glazounov, pour la maison britannique Chandos, à titre de gagnant du Concours d'Orford.
Son premier disque de sonates vint ensuite: un couplage Richard Strauss‑Hans Pfitzner avec le pianiste Henri Brassard, pour la marque américaine Brioso. Un deuxième vient de paraître, avec cette fois le pianiste Jean Saulnier, sous l'étiquette québécoise Pelléas. Il groupe les trois plus importantes sonates russes du XXe siècle, soit celles de Chostakovitch (de 1934), Prokofiev (1949) a Schnittke (1978). (Dans ce dernier cas, première sonate car Schnittke en composa une deuxième en 1994.)
Cette nouvelle prestation se maintient au niveau d'excellence des deux précédentes. Avant même d'avoir atteint la trentaine, Dyachkov s'impose comme un violoncelliste de première grandeur : l'archet naturel, la sonorité riche et profonde, la concentration totale, le sens de l'interprétation, tout est là.
Dans la réussite absolue que constitue ce disque, il faut compter l'apport de Jean Saulnier, chambriste agissant et nuancé, et l'équilibre d'une prise de son où violoncelle et piano sont toujours là, où jamais une voix ne disparaît au profit de l’autre. Observer, par exemple, à la fin du Schnittke, cette très longue tenue du violonœlle pianissimo sur un do qui, pendant 22 mesures, reste audible à travers les accords du piano (de 7'46 à 9'24 sur l'indicateur, ou entre les chiffres 10 et 12 si on a la partition).
Classiques du répertoire des violoncellistes, les sonates de Prokofiev et de Chostakovitch conservent, par leurs thèmes chantants, un certain romantisme auquel Dyachkov s'abandonne, rejoignant Rostropovitch et son maître Turovsky, les dépassant même, parfois, dans le mystère ou l'espièglerie. Moins fréquenté, le Schnittke est une création absolument démente, d'une difficulté indescriptible, presque épuisante à écouter même, et que Dyachkov et Saulnier traversent en véritables héros, sans nécessairement faire oublier l'incandescente version de Torleif Thedéen et Roland Pöntinen réalisée chez BIS en 1986.
Il existe un autre enregistrement groupant les trois mêmes sonates: celui de Xavier Phillips et Hüseyin Sermet, paru chez Harmonia Mundi en 1997. Je ne l'ai pas entendu. Mais je ne vois pas en quoi il pourrait être supérieur à celui de Dyachkov et Saulnier où toutes les indications de la partition sont respectées, où l'esprit de chaque oeuvre est parfaitement rendu. ★★★★★
Des sonates de Chostakovitch et Prokofiev, Rostropovitch (dédicataire de cette dernière) a laissé des gravures inoubliables de densité. On pourrait aussi citer, dans Prokofiev, la version Starker/Sebök (Vogue), puissante, libre, incontestable. On le voit, la barre est placée haut. Cependant, à cause de leur écriture d'apparence classique, claire et forte, ces deux œuvres tentent beaucoup de jeunes interprètes, la plupart du temps avec succès. Yegor Dyachkov est manifestement un violoncelliste de grande classe, cultivé et sensible. Il sait trouver, dans Chostakovitch, l'humour, la gravité, l'intensité lyrique, la candeur et la causticité qui caractérisent sa Sonate. Son instrument est par ailleurs magnifique de présence, de chaleur et de finesse. Ce travail permanent sur la sonorité est bien compris et secondé par Jean Saulnier, tour à tour brillant (voire tapageur) et merveilleusement ambigu (style parodique de l'Allegro final). Dommage que le piano soit un peu clinquant. Mêmes ingrédients pour la Sonate de Prokofiev : concentration, timbres étudiés, austérité. Dyachkov y est encore plus convaincant d'intériorité et de gravité. Le phrasé est noble, racé, sans ostentation, le coup d'archet trahit un caractère sûr et sincère. Le court Largo introductif [de la Sonate de Schnittke], presque uniquement confié au violoncelle solo, est une pièce redoutable, dont Dyachkov donne une lecture superbement torturée et grinçante. Le Presto central est une sorte de scherzo obsessionnel, un ostinato réduit à sa plus simple expression. Dans ce perpetuum mobile cinglant, on a l'impression que le pianiste ne donne pas toute sa mesure et reste assez sage, là où Dyachkov frise la démence, en virtuose. Mais il serait injuste d'exagérer ces maigres insuffisances : par leur souci de constante expressivité et leur sens du détail, Dyachkov et Saulnier signent ici un disque remarquable de clarté et d'intelligence.
Un tel couplage, déjà proposé par Paul Marleyn et Sarah Morley (United, cf. No 68), permet d'utiles comparaisons stylistiques entre trois créateurs dissemblables. Qui plus est, I'interprétation est excellente. Le jeu souple et délié de Dyachkov, son timbre chaud et homogène dans tous les registres, la finesse de ses aigus et la légèreté de son rebond rythmique s'accordent bien avec la pulsation toujours maîtrisée de Saulnier. Il est certes possible de souhaiter plus d'exubérance sonore et de frénésie motorique dans l'Allegro final de la Sonate de Chostakovitch et peut‑être un peu plus d'acidité erratique et de mystère introspectif dans celle de Prokofiev, mais l'expressivité des deux complices est partout d'une sincérité totalement convaincante. La Sonate de Schnittke, notamment, est une réussite absolue, avec ses demi‑teintes douloureuses, ses cris étouffés, son tourbillon ostinato martelé au piano dans le Presto.
Opus 2000 Recording Awards / Prix du meilleur enregistrement de musique de chambre canadien
Dour, fierce and rigourous, yet with splashes of joy and no shortage of modernist irony, the sonatas for cello and piano by the Soviet composers Shostakovich, Schnittke and Prokofievmake an especially complementary package here. The 26-year-old Russian-born cellist Yegor Dyachkov is an eloquent spokesman for these pieces from the mother country, with playing that neatly balances passion and restraint. The recorded sound from this Québec label is excellent.